"Bonjour à toute la troupe d'Art Images Compagnie.

J'ai assisté à la représentation de Cyrano au Théâtre de Verdure à Allauch et ce fut 2h30 de pur bonheur ! Quel plaisir de redécouvrir ce texte sublime porté par une vraie troupe de théâtre, comme on n'en voit plus. Une quinzaine de comédiens envahissent le Théâtre de Verdure, encerclent les spectateurs pour mieux nous plonger dans l'ambiance bouillonnante du texte d'Edmond Rostand. La mise en scène enlevée, le rythme des entrées / sorties, les combats, l'humour (rare dans les mises en scènes de cette pièce mais tellement juste et présent), tout sert et élève les mots de l'auteur, dans une grande générosité et une belle humilité. On sent chez cette troupe une grande complicité et un vrai dévouement, un vrai amour de cette langue, et un vrai désir de faire partager cette pièce universelle au public venu nombreux pour l'occasion.

Les acteurs principaux apportent une interprétation très juste et sensible des personnages : Cécile Petit porte une Roxanne insolente et énervante à souhait, mais sait aussi déconstruire petit à petit le masque de la futilité au fur et à mesure que naît son amour véritable pour l'âme de Christian / Cyrano, et nous dévoile par petites touches sa fragilité, jusqu'à la très belle émotion de la scène finale. Christian de Neuvillette nous apparaît ici comme un faible, lâche et peureux, dans une timidité très juste pour le personnage, souvent interprété comme un bel homme sûr de lui. Ici, les énergies de Roxane et de Christian sont tellement aux antipodes que dès leurs premiers regards, il apparaît comme une évidence pour les spectateurs que ce couple est voué à l'échec. Une évidence pour tous... sauf pour les principaux concernés. Ainsi, à la manière du trio Scarlett / Rett / Ashley, il faudra attendre le drame final pour révéler au grand jour les bonnes "concordances" amoureuses. Enfin, Armand Giordani porte un Cyrano très juste, dans une interprétation aux mille couleurs, qui servent parfaitement le personnage : du bouffon au poète, en passant par l'amoureux, le guerrier, l'homme d'honneur etc... La tirade du nez, vrai moment d'anthologie, est ici traitée sous l'angle du burlesque, et donne une vraie force supplémentaire à ce Cyrano qui sait aussi se moquer de lui-même. Par cette approche, Armand Giordani nous rend son Cyrano d'autant plus touchant qu'il nous le rend humain, plein d'ambivalences, passant de l'humilité à la fierté, de la poésie à la bouffonnerie pure. Rarement ces personnages nous sont apparus aussi proches de nous, ce qui crée une empathie d'autant plus forte. Nous ne sommes pas face à des personnages de conte de fées : Roxane est loin d'être la princesse parfaite, Christian loin du prince charmant irréprochable et Cyrano loin d'être le vilain petit canard . Non, ce sont des êtres ambivalents, comme tout à chacun, mais ils parlent avec les vers d'un des plus grand poètes du XXè siècle, et cette langue les sublime et les élève au-delà de la terre ferme.

C'est cette alternance entre sublime et concret, entre ciel et terre, entre poésie et prosodie (dûe à une part d'improvisation qui ici trouve parfaitement sa place, n'en déplaise aux puristes de la versification), bref, cette modernité malgré l'apparent classicisme (costumes et décor d'époque) fait de cette mise en scène un grand moment de théâtre, et travaille à l'universalité de cette pièce mythique.

Armand Giordani sait jouer des codes de la représentation, et si le spectateur pense assister à une représentation "classique" de cette pièce "classique", il revient vite sur ses à priori, par la distance qu'il distille au fur et à mesure de sa mise en scène, comme pour bien nous rappeler que nous sommes au théâtre, et qu'il ne s'agit là qu'une troupe d'acteurs qui jouent des personnages. Cette distanciation est très visible lors de la scène du balcon lorsque le comédien jouant Christian se laisse emporter par les mots habituellement soufflés et continue à parler comme si les mots lui venaient naturellement. Très vite "Cyrano" reprend "la main" et son rôle de souffleur, et Christian son rôle d"homme qui n'a pas d'esprit et la pièce peut reprendre son cours... De même, la simplicité du décor et son unité, ne cherchent pas le réalisme malgré les accessoires d'époque, mais plutôt la suggestion, laissant au spectateur une grande part d'imaginaire, insufflée aussi par ce lieu magique en plein air.

Voilà donc une belle soirée passée à Allauch, en espérant qu'Art Images Compagnie continuera à transporter dans ses valises itinérantes, ce rêve qu'il sait si bien partager avec son public : son amour du théâtre et sa transmission.

Merci Armand, merci les comédiens d'Art Images Compagnie, et que vive longtemps le théâtre et ses auteurs et acteurs !

Claire"
Spectatrice - comédienne - théâtrophile